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3 décembre 2009

Extrait de René de Chateaubriand, Commentaire

« Je ne sais ce que le ciel me réserve, et s'il a voulu m'avertir que les orages accompagneraient partout mes pas.friedrich L'ordre était donné pour le départ de la flotte; déjà plusieurs vaisseaux avaient appareillé au baisser du soleil; je m'étais arrangé pour passer la dernière nuit à terre, afin d'écrire ma lettre d'adieux à Amélie. Vers minuit, tandis que je m'occupe de ce soin, et que je mouille mon papier de mes larmes, le bruit des vents vient frapper mon oreille. J'écoute; et au milieu de la tempête, je distingue les coups de canon d'alarme, mêlés au glas de la cloche monastique. Je vole sur le rivage où tout était désert, et où l'on n'entendait que le rugissement des flots. Je m'assieds sur un rocher. D'un côté s'étendent les vagues étincelantes, de l'autre les murs sombres du monastère se perdent confusément dans les cieux. Une petite lumière paraissait à la fenêtre grillée. Etait-ce toi, ô mon Amélie, qui prosternée au pied du crucifix, priait le Dieu des orages d'épargner ton malheureux frère? La tempête sur les flots, le calme dans ta retraite; des hommes brisés sur des écueils au pied de l'asile que rien ne peut troubler; l'infini de l'autre côté du mur d'une cellule; les fanaux agités des vaisseaux, le phare immobile du couvent; l'incertitude des destinées du navigateur, la vestale connaissant dans un seul jour tous les jours futurs de sa vie; d'une autre part, une âme telle que la tienne, ô Amélie, orageuse comme l'océan; un naufrage plus affreux que celui du marinier: tout ce tableau est encore profondément gravé dans ma mémoire. Soleil de ce ciel nouveau maintenant témoin de mes larmes, écho du rivage américain qui répétez les accents de René, ce fut le lendemain de cette nuit terrible, qu'appuyé sur le gaillard de mon vaisseau, je vis s'éloigner pour jamais ma terre natale! Je contemplai longtemps sur la côte les derniers balancements des arbres de la patrie, et les faîtes du monastère qui s'abaissaient à l'horizon. »

                             Sous le consulat de 1802, alors que Chateaubriand est en exil à Londres paraît Du vague des passions, d’abord rattaché au Génie du Christianisme, ou de ce mal du siècle dont il est lui-même en proie, et en son sein René. Dans le passage que nous allons étudier, René, qui vient de recevoir une lettre de sa sœur Amélie, réfugiée dans un couvent pour éteindre sa coupable passion, conte sa dernière nuit en sa terre natale avant le départ pour le nouveau monde. René, devenu l’un des types même du personnage romantique fait preuve d’une sensibilité exacerbée en cette dernière nuit. En quoi comme l’a écrit Senancour, ce romantisme ne se résume pas seulement à un paysage mais se produit par la rencontre entre ce paysage et l’émotion ? Dans un premier temps nous relèverons la poétique des sens entre vue et ouïe, ensuite nous noterons la forte emprunte mélancolique et enfin  nous insisterons sur la relation métonymique et ambiguë quand l’âme fusionne avec ce qui l’entoure.

                        Le personnage de René évolue dans un univers de figurations où tout autour de lui n’est que sensations multiples. Personnage seul aux aguets des signes de la nature « j’écoute, je distingue, je contemple », il est toute vue et toute ouïe entretenant une véritable poétique des sens. René avance dans un espace en constant mouvement, où les éléments se déchaînent. On croise au fil des lignes le schème de paysages tourmentés avec « orages, vents, tempêtes, rugissement des flots, vagues, océan ». De cette nature en activité, René réalise une véritable hypotypose, où sous les yeux du lecteur les descriptions s’animent. Les adjectifs prolifèrent « désert, étincelantes, sombres, petite, malheureux, brisés, immobile, orageuse, affreux, terrible, natal »,  toujours dans ce désir d’exhaustivité. Alors que tout autour de René ne semble pourtant que fantôme, l’être le plus réel ici apparaît en cette mer où « s’étendent des vagues étincelantes ». Les phrases courtes, de style parataxique, suivent le mouvement houleux ou saccadé de l’eau et même la ponctuation abondante forme une prose qui en suit le rythme.

En cette atmosphère sombre et tourmentée, René semble réaliser ses pensées en visions d’art. Emprunt d’un réseau sémantique pictural, il offre une trace subjective de ce qu’il appelle lui-même « tableau » : « gravé, je contemplai, je distingue ». Cette ekphrasis n’est pas sans rappeler certaines peintures de G.D Friedrich, « au baisser du soleil, je m’assieds sur un rocher»… Et de nouveau la ponctuation se met au service de la description avec les « : » précédant l’image du tableau. Le figé de ces paysages de peintre transparaît aussi grâce au champ lexical de l’immuable avec « asile que rien ne peut troubler, le phare immobile, la vestale connaissant dans un seul tous les jours de sa vie, tableau gravé ». Le personnage éponyme réalise même un tableau de genre avec le départ de la flotte « Je contemplai longtemps sur la côte les derniers balancements des arbres de la patrie, et les faîtes du monastère qui s’abaissaient à l’horizon. »

            Comme nous venons de le constater, René porte une attention toute particulière au contexte visuel dans lequel il évolue. Cependant sa sensibilité ne se limite pas à ce seul sens et est agrémentée de celui de l’ouïe « j’écoute, je distingue». On constate une certaine musicalité, isotopie du bruit, variant entre celle de la nature « le bruit des vents vient frapper mon oreille, le rugissement des flots » et celles de constructions humaines, à l’opposées l’une de l’autre « les coups de canons, le glas de la cloche monastique ». Les « coups de canons » semblent violents comme la tempête, et à contrario le « glas de la cloche » est paisible et monotone. Sur ce dernier son régulier au tempo très lent, on ne peut qu’entendre ou lire une véritable osmose du personnage avec son environnement. Devant la force des éléments qui se déchaînent « Je ne sais ce que le ciel me réserve, et s’il a voulu m’avertir que les orages accompagneraient partout mes pas» on rencontre un être martyr en proie à une réelle mélancolie. 

                        « Il y avait autrefois un grain de sable qui se lamentait d’être un atome ignoré dans les déserts» avait écrit Voltaire. Face à cette immensité « l’infini de l’autre côté du mur d’une cellule » opposé au choix d’enfermement religieux de sa sœur « mur, fenêtre grillée, mur d’une cellule » René semble comme victime de la fatalité « ce que le ciel me réserve, tous mes pas, dernière nuit, adieux, pour jamais ». Et de facto, mené par cette destinée dont il ne semble pas maître, il est submergé d’incertitudes « confusément ». Ce « moi » qui toujours se cherche et se déchire est en proie à ses doutes, à ses désirs contraires qui transparaissent au travers la négation « je ne sais ». Ce sont ses premiers mots, à la suite de la dernière lettre d’Amélie et à la limite du pathétique qui semblent placer René dans un cadre confus qui mènera toute sa vie. Notons que l’histoire de René prend pour appui une insatisfaction latente et un profond sentiment d’incomplétude : ici René part mais c’est qu’il ressent qu’il n’a guère le choix « écho du rivage américain qui répétez les accents de René », il est en quelques sortes appelé et c’est désespéré que le jeune homme s’embarque pour l’Amérique. Précédemment Amélie, elle aussi avait quitté sa terre afin de bannir sa « criminelle passion ». Aucun des deux ne suit la destinée qu’il aurait espérée : « ton malheureux frère ».

            René, lors de sa « dernière nuit à terre » est anéanti par une grande solitude, « sur le rivage où tout était désert, je m’assieds sur un rocher ». Comme nous l’avons déjà noté, il n’a pour seule compagnie dans ce désert d’hommes que la mer et ses pensées pour Amélie. La prise de parole à la première personne « je » ainsi que la richesse en verbes pronominaux dans ce court extrait « je m’étais arrangé, je m’occupe, je m’assieds » sont elles-mêmes démonstratives d’une valeur réflexive, soit d’une clôture sur la sphère du sujet même : René est seul face à lui-même. La tonalité profondément lyrique dépeint un homme affligé d’une tristesse fondamentale. La thématique des larmes est répétée à deux fois « je mouille mon papier de mes larmes, maintenant témoin de mes larmes ». Comme l’a écrit Ste-Beuve « Les Renés purs sont des malades pour chanter et souffrir, puis jouir de leur mal, des romantiques moins par dilettantisme : la maladie pour la maladie ». Devant la « béance » de son cœur, le seul ressort de René est bien le lyrisme et l’élégie. Il est même supporté dans sa solitude par le « glas de la cloche monastique » qui accompagne généralement les cérémonies funèbres…

            Les romans Atala et René sont souvent considérés comme des chants de l’exil. Cette dernière prise de parole de René est celle qui précède son départ « L’ordre était donné pour le départ de la flotte ; déjà plusieurs vaisseaux avaient appareillés au baisser du soleil ». Il n’est donc pas surprenant d’y rencontrer la thématique du lieu perdu, concomitante à la nostalgie « je m’étais arrangé pour passer la dernière nuit à terre, afin d’écrire ma lettre d’adieux à Amélie ». Contrairement à la nostalgie d’Ulysse qui ne pleurait que le retour au pays natal, René est celui qui « appuyé sur le gaillard de [son] vaisseau » fait ses adieux. Il parle de « mémoire, je vis s’éloigner pour jamais ma terre natale, la patrie ». Alors que la première partie de son récit est marquée par le présent « je ne sais, je vole, je m’assieds », la fin, assez paradoxalement joue entre temps du passé « je contemplai, s’abaissaient ». Au lieu d’être tourné vers l’avenir, René reste suspendu à son passé. Et pourtant, nonobstant son mal, embarqué sur cette mer de l’errance, assurément contraint par quelque force il s’ouvre à une dimension plus exotique « rivage américain, Soleil de ce ciel nouveau, maintenant ». Cette recherche de l’exotisme n’est au demeurant pas sans rappeler le roman gothique anglais qui prenait souvent pour cadre de nouveaux paysages. Cette quête s’harmonise avec l’atmosphère mystique qui règne en cette première partie, entre les « murs sombres du monastère se perdent confusément dans les cieux», le paysage nocturne « vers minuit » et la « tempête »…

« Quand j’entends gronder les orages, et que l’oiseau me vient battre des ailes à ma fenêtre, moi, pauvre colombe du ciel, je songe au bonheur que j’ai eu de trouver un abri contre la tempête » écrivait Amélie dans son ultime lettre. Le tableau final décrit par René oppose sous divers angles l’agitation terrestre dans laquelle il évolue « la tempête sur les flots, hommes brisés sur des écueils, les fanaux agités des vaisseaux » et l’aspect céleste de la retraite d’Amélie « le calme dans ta retraite, l’asile que rien ne peut troubler », antinomie qu’Amélie avait déjà relevée. Le personnage romantique, les émois du héros et la vie intime de l’individu se manifestent ainsi comme l’expression d’une fusion totale de l’âme avec ce qui l’entoure, dépeignant une réelle relation métonymique. Sous ce parallélisme, René fait de chacun d’eux de véritables allégories : il est la tempête dans ses sentiments mitigés, partir ou rester auprès d’Amélie à qui il voue une affection infinie « ô mon Amélie, ô Amélie », elle est l’abri par le lieu où elle demeure « l’asile que rien ne peut troubler ». Accumulant les asyndètes, cette phrase longue de près de cent mots en acquiert un certain rythme qui rend palpable la tension de René, esprit troublé quant à son départ mais calme rassurant d’autre part « une petite lumière paraissait à la fenêtre grillée ».

Cette relation métonymique, d’association entre état d’âme et environnement offre à  l’auteur la possibilité d’une part d’ombre, tout n’est pas dit explicitement, et malgré l’allégorie, l’environnement n’enveloppe pas les personnages dans leur intégralité.  En dépit du cadre de vie monastique d’Amélie, René relève un contraste, il est celui qui part en mer « navigateur », et c’est pourtant sa sœur qui a « l’âme […] orageuse comme l’océan ». L’asyndète quant à elle, suspend en quelques sortes la séquence qui apparaît donc comme une série ouverte, laissant l’esprit libre aux lecteurs. Remarquons aussi que René dresse surtout le tableau d’un havre de paix en ce qui concerne le bâtiment monastique en lui-même. La religion en elle-même semble mise à distance, de l’essence même il n’en est question que dans une unique phrase « Etait-ce toi, ô mon Amélie qui, prosternée au pied du crucifix, priais le Dieu des orages d’épargner ton malheureux frère ! ». Et encore est-il précisé « le Dieu des orages ». Ajoutons à cela qu’Amélie, qui lors de sa précédente lettre se disait unie à

la Vierge

est ici comparée à une « vestale », soit l’une de ses femmes qui faisait vœu de chasteté durant trente ans et veillait chaque jour à ce que le feu de la déesse Vesta ne s’éteigne. Mais le culte des ces prêtresses n’a rien de chrétien puisque qu’il s’inspire d’une divinité latine. Cet éloignement de la religion n’est pas sans laisser songeur, en ce moment douloureux de son existence, René ne verrait-il plus la présence de Dieu mais seulement « les faîtes du monastère » ? La suite de la lecture semble aller dans ce sens, quand, hors de notre objet d’étude, le Père Souël lui reproche « la solitude est mauvaise à celui qui n’y vit pas avec Dieu »…

                        En conclusion, René, homme seul à l’âme troublée apparaît comme le type même du héros romantique. Baigné de paysages de peintres, à travers la tempête, les houles et l’infini de la mer, tantôt il amplifie tantôt il modèle son mal être. Ce « naufrage plus affreux que celui du marinier » n’est plus seulement métaphoriquement causé par « un aveu sorti du sein de la tombe », il revêt le sens nouveau, plus prophétique, d’un bonheur qui ne sera jamais trouvé…

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Commentaires
C
I would like to thank the author for this marvelous efforts .I appreciate your efforts in preparing this post. I really like your blog articles.<br /> college Thesis writing
S
La présentation est à revoir parce que lorsque que l'on arrive sur la page cela ne donne pas envie de lire. Mais sinon la prestation est bonne ;)
M
Note obtenue: 15/20
G
Un bon article. Cette peinture est célèbre. Dans mon manuel, elle est illustre d'un poème de Baudelaire.<br /> Bonne journée
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