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ღ♥  Mon aire de repos  ღ♥
26 juillet 2006

Les Mots, Sartre, un extrait

Les_Mots_de_Sartre

«  Le dimanche, ces dames vont parfois à la messe, pour entendre de la bonne musique, un organiste en renom ; ni l’une ni l’autre ne pratiquent mais la foi des autres les dispose à l’extase musicale ; elles croient en Dieu le temps de goûter une toccata. Ces moments de haute spiritualité font mes délices : tout le monde a l’air de dormir, c’est le cas de montrer ce que je sais faire : à genoux sur le Prie-Dieu, je me change en statue ; il ne faut pas même remuer l’orteil ; je regarde droit devant moi, sans ciller, jusqu’à ce que les larmes roulent sur mes joues ; naturellement, je livre un combat de titan contre les fourmis, mais je sis sûr de vaincre, si conscient de ma force que je n’hésite pas à susciter en moi les tentations les plus criminelles pour me donner le plaisir de les repousser : si je me levais criant « Badaboum ! » ? Si je grimpais à la colonne pour faire pipi dans le bénitier ? Ces terribles évocations donneront plus de prix, tout à l’heure, aux félicitations de ma mère. Mais je me mens ; je feins d’être en péril pour accroître ma gloire : pas un instant les tentations ne furent vertigineuses ; je crains bien trop le scandale ; si je veux étonner, c’est par mes vertus. »

Ce passage me plait sérieusement. En effet, ce genre de « tentations les plus criminelles » sont si typiques du genre humain. Penser et savoir que personne ne peut lire ce qui se passe en vous à un moment où l’on semble le plus innocent…c’est cela qui est intéressant. L’homme porte un masque, véritable pâte à modeler, il le modifie à sa guise et reste ainsi impénétrable. Il vit dans un monde où il montre de lui que ce qu’il veut, ainsi il se protège, lui. Et pourtant ici l’on peut voir que la plus grande satisfaction de Sartre est avant tout celle de rester, malgré ses intimes pensées, un enfant sage, l’enfant que l’on admire pour son calme. Pourtant à mes yeux, le plus amusant est d’avoir ces pensées, ces « tentations » et de les garder au plus profond de soi-même et d’essayer d’imaginer la réaction de l’entourage. Il est de ces tentations que l’on canalise aisément et d’autres, beaucoup plus puissantes, que l’on peine à contenir. Ces dernières sont les plus incompréhensibles, car la plupart du temps la cause, l’idée, la fondation de l’idée de cet pseudo-acte criminel reste dans l’ombre. « Ma parole, d’où peut bien me venir une telle envie si incontrôlable ? »… Imaginez, une salle de théâtre, un calme perturbant par sa monotonie… Qui n’a pas rêvé de se lever et de crier ? Crier n’importe quoi, juste pour bouleverser les habitudes, et pour se dire, ne serait-ce qu’une fois, que l’on a changé quelque chose… De plus, il est indéniable que par cet acte, le public se trouvera uni… En effet, de près ou de loin, chacun, en son fort intérieur ou plus délibérément, pensera « Ah ces jeunes, ils ne savent plus quoi faire pour se faire remarquer… » A tort, à mon avis, car si cet acte nécessite la présence d’autrui pour briller comme il se doit, il n’est en aucun cas réalisé pour les autres… Non, ici, c’est beaucoup plus personnel, un genre d’essai, une recherche de ses propres limites.

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