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17 décembre 2010

Dissertation sur Cyrano de Bergerac


 


Littérature et Révolution scientifique,
de l'âge baroque au siècle des Lumières


Sujet de la dissertation: Selon le critique Jean Serroy, Cyrano, dans L'Autre monde, propose une méthodologie de la connaissance plutôt qu'il n'expose une doctrine philosophique ou une théorie scientifique.

En vous inspirant de cette analyse, vous vous interrogerez sur le rôle joué par la littérature à l'égard de la nouvelle science au cours de la Révolution scientifique.



        A l'origine du voyage dans la Lune de Dyrcona, narrateur de L'Autre monde se trouve le livre mystérieusement ouvert de Cardan. Ainsi, par-delà la tradition aristotélicienne s'inscrit le premier pas d'une littérature se déployant sur le monde des sciences. Qu'ils s'appellent Kepler, Godwin, Cyrano de Bergerac, Fontenelle, Buffon ou Diderot tous ont donné à leur réflexion cosmologique et / ou anthropologique un support fictionnel. Dans cette perspective la fonction de la littérature est à interroger quant aux champs de possibles hypothétiques, expérimentaux ou démonstratifs offerts. Face à une science peinant à conquérir l'opinion, la littérature dans ses différents rôles se propose comme canal de diffusion des découvertes, suggérant ainsi, entre mise à l'épreuve pratique et observation, une véritable méthodologie à l'encontre de la doxa classique.  Mais ne s'agit-il pas aussi de considérer une Révolution scientifique qui inversement s'emploie à nourrir la littérature, étant à la fois matière et source d'interrogation épistémologique?

        Si la nouvelle science est entrée dans la littérature c'est qu'il fallait rompre avec le carcan traditionnel des discours savants. Face à une science peinant à conquérir l'opinion la littérature s'est placée en canal de diffusion des découvertes. On se souviendra d'un intéressement aux sciences condamné, de la curiosité vue comme un péché biblique, de Pascal trouvant "bon qu'on n'approfondisse pas l'opinion de Copernic", ou bien encore de Galilée  qui n'a été réhabilité par l'Église catholique qu'en 1992 et de Giordano Bruno qui alla beaucoup plus loin dans la remise en cause des conceptions admises de notre univers, qui fut brûlé en 1600 et n'est toujours pas réhabilité. Dès lors on peut noter différentes approches de la littérature pour y faire face. La première serait un recours à la littérature en tant que stratégie défensive, un discours qui serait crypté. Cyrano est peut-être l'exemple le plus intuitif: dans le dessein du romancier le personnage de Dyrcona doit inévitablement se transformer en personnage comique. Comment ne pas s'amuser véritablement lorsque le narrateur "je" fait sa première rencontre en Nouvelle-France, ou lorsqu'il semble se faire à l'idée qu'il est "la femelle de l'animal de la reine" ou bien encore lorsqu'il est supposé que les choux pourraient être doués d'une âme ou d'un intellect? De trop rire parfois l'on serait même tenté de passer à côté de la portée polémique du texte, mais le réel enjeu est de, comme le note Jacques Prévot dans sa Préface des Empires, "disposer d'une parole libre pour penser librement" et de fait si le propos apparaissait comme simple fantaisie ou comme divertissement il risquait moins de se trouver embrigadé donc censuré. Il ne faut cependant pas limiter ce cryptage à éviter la censure. Pour étayer ce point référons-nous à Diderot, la première impression est celle d'un texte plutôt obscur car fermé à la compréhension immédiate. Participant à ce cadre énigmatique on trouve chez le philosophe de nombreux raisonnements par analogie; souvent il s'aide d'images célèbres comme celle du clavecin (peut-être en lien avec La Mettrie qui avait comparé le cerveau à un instrument de musique dont les perceptions faisaient vibrer les cordes) et il n'est pas toujours aisé de les déchiffrer. Néanmoins à la relecture et en présence d'éléments contextuels, le lecteur parvient à y voir plus clair. De fait peut-être pouvons-nous ajouter à ce cryptage une fonction réflexive sur lui-même. Qu'est-il dit? Qu'est-ce que l'auteur, au travers de son brouillage volontaire a-t-il cherché à transmettre? Poursuivant ce questionnement entre le va-et-vient du réel au fictif, du rationnel à l'imaginaire, du philosophique au romanesque dans les États et Empires l'on percevra plus aisément la réelle polysémie du texte. Les analogies sont aussi récurrentes chez Fontenelle qui lorsqu'il ne dresse pas de véritables fables comme celle des abeilles, crée de surprenantes associations entre l'amour et les sciences, la galanterie et l'univers...
    Demeurons quelques instants encore près de Fontenelle dont on a cité les analogies mais aussi la fable contant "l'histoire naturelle des abeilles"; détour par la fable que l'on avait déjà connu par Le Songe de Kepler. Si au prime abord le philosophe fontenellien semble crypter son discours il finit tout de même par clarifier les points laissés obscurs: ainsi alors que l'on pensait à des extraterrestres au sens étymologique du terme l'on se rend compte qu'ils étaient en réalité les habitants d'une ruche... De fait le philosophe conteur se place du côté des savants ayant compris qu'il fallait un autre art de dire la science: tout en en parlant il cherche à se rendre aimable. Avec Fontenelle, homme véritablement adapté à l'oeuvre de "propagande scientifique" nous ne sommes donc pas exclusivement dans une stratégie défensive du discours scientifique mais aussi dans une stratégie offensive: la littérature ayant un rôle rhétorique de "vulgarisation" du Savoir. Ces deux stratégies ne sont pas à opposer et leur association repose clairement dans les guillemets entourant le précédant substantif de "vulgarisation". Fontenelle certes, diffuse la science nouvelle, mais il ne faut pas se méprendre, cela reste dans un cadre mondain, malgré sa prose lucide et ses métaphores familières. Au demeurant Fontenelle lui-même y préfère le terme de "traduction" en tant que transposition de la langue de la science à la langue mondaine qui n'est pas celle des savants. Le style mondain fontenellien relève d’un langage plaisamment imagé et, comme le remarque Christophe Martin dans sa Préface aux Entretiens « le discours ‘figuré’ confère à l’objet du dialogue une légitimité quasi aristocratique, alors que le sens ‘propre’ du vocabulaire technique relèverait nécessairement d’un langage ignoble en raison même de sa fonctionnalité ». Dès lors l’on rejoint un discours qui malgré tout n’est pas accessible à tous. En définitive chez nos trois philosophes l’on retrouve incessamment comme une échelle allant sensiblement vers l’abstraction alors qu’à l’origine elle visait à rendre concrète sa thématique. C’est ainsi que des simples images qui rendent sensibles une idée, l’on passe au modèle et sa fonction explicative (exemple de la reprise chez Fontenelle du monde fonctionnant comme une montre), au paradigme abstrait du mécanisme qui pourrait être lu derrière le modèle de la montre. Conservons donc les guillemets autour du rôle rhétorique de "vulgarisation" du Savoir.
    La thématique de la pluralité des mondes est récurrente, et sur le modèle du monde qui se déploie, de monde pluriels, l’on peut admettre une pluralité des rôles de la littérature à l’égard de la nouvelle science. Nous venons d'évoquer celui rhétorique de « vulgarisation » du Savoir, il en est un plus expérimental, heuristique, de formulation et vérification d’hypothèses, hypothèses plurielles cela s’entend, comme si la fiction se posait en tant que véritable laboratoire scientifique. Kepler le premier inaugure cette écriture scientifique où une place majeure est accordée à la fiction. De par sa fable lunaire voyant naître les prémices d'une expérience par la pensée il crée une véritable réciprocité entre fiction et formulation d'hypothèses. Cette nouvelle méthode expérimentale se prolongera au XVIIIème siècle. Dans Le Rêve de d'Alembert, on notera à ce titre Bordeu disant à Julie "Votre doute me plaît", ou bien encore "Je n'élude rien, je vous dis ce que je sais". On se retrouve chez le philosophe délirant avec une pensée devant sans cesse s'élargir pour contenir toujours plus d'hypothèses: pour lui dans la nature il n'y a ni répétition ni identité absolue car "le temps irréversible est une donnée fondamentale qui produit le nouveau". Cyrano de Bergerac use aussi d'un doute créé par l'insertion dans sa fiction de nombreux discours scientifiques (on se souviendra des discussions avec le démon de Socrate, l'animal de la reine ou bien encore Gonzalez), mettant ainsi en place une écriture joignant science et fiction: une valeur heuristique de la littérature qui est aussi celle de l'imagination qui se déploie constamment. Par un désir ardent d'échapper au monde réel ainsi que de nombreuses questions épistémologiques ayant trait au Savoir et à la Science Dyrcona se décide à entreprendre son voyage interplanétaire. La fiction permet ce voyage, jouant entre pédagogie philosophique et lyrisme poétique. La porte de l'imaginaire ainsi ouverte semble participer à l'invention dans l'avancée scientifique, l'acte d'écrire ne se présente plus seulement comme un moyen libertin de s'opposer dans le refus de théories préétablies. Bien que nous ayons traité ici principalement de la fiction comme laboratoire de formulation d'hypothèses, il est permis d'aller plus loin encore en considérant en cette dernière un ultime moyen d'établir le paroxysme d'un rapprochement à ce qui serait une "vérité" de l'astronomie nouvelle. En effet, si la fiction ne s'était pas présentée comme laboratoire, que ce serait-il passé si au XVIIème siècle un humain avait été envoyé dans l'espace dans la perspective de voir si oui ou non les autres planètes étaient habitées? Nous clôturerons cette réflexion sur une littérature comme un canal de diffusion des découvertes par le titre du chapitre XXIX d'une autre oeuvre de Diderot, Les Bijoux indiscrets "Rêve de Mangogul, ou Voyage dans la région des hypothèses".

        Il convient de s'interroger sur la réelle méthodologie dont use la littérature pour diffuser les découvertes scientifiques. La littérature à l'égard de la nouvelle science ne se pose pas comme une doctrine close contenant son propre modèle de pensées / penser. On peut lire ce refus de reconnaître des autorités savantes chez Cyrano de Bergerac par exemple. Lors de l'incipit des États et Empires de la Lune il fait appel aux arguments d'autorité d'Epicure, Demosthène, Pythagore et autres philosophes pour mieux montrer que finalement leurs "arguments d'autorité" ne sont pas suffisants. Redéfinissant le nouvel esprit scientifique à l'orée de la Révolution, Cyrano de Bergerac montre qu'il ne s'agit plus d'édifier des théories à distance; certes si une question se pose il est toujours possible de formuler une hypothèse explicative mais il ne s'agit plus de la "vérifier" en citant Aristote. Comme Jacques Prévot le note dans Cyrano de Bergerac, romancier, Cyrano prône une "table rase de lectures du monde issues de la brutalité des apparences ou des illusions de la perception  [car] l'homme de la vraie science s'impose une rééducation". Cette phrase, écrite en commentaire du texte de Cyrano trouve de même son écho chez  Fontenelle. Resituons-nous, nous sommes le troisième soir des entretiens et le philosophe se propose de conter une "histoire" à la Marquise. Alors que cette dernière y voyait là un "roman" le philosophe lui annonce en coup de théâtre qu'il vient en réalité de lui exposer "l'histoire naturelle des abeilles". Si la Marquise est si étonnée de l'apprendre c'est qu'elle n'a guère pris soin d'écouter sans à priori, elle se trouve donc confrontée à ses préjugés. Restons du côté de Fontenelle, la présence de la Marquise requiert du philosophe  une attention toute particulière quant à la mise en forme de son argumentation, tout au long de leurs entretiens il s'applique toujours à ne point forcer mais à modeler l'esprit de son interlocutrice, comme s'il rééduquait sa raison à une démarche plus cohérente et logique, ouvrant son champ de perception un peu à l'image de l'univers clos de Pythagore qui s'étendrait en un univers infini tel que peut nous le décrire Giordano Bruno.
    Comme toute réfutation bien tenue, l'on ne conteste pas sans avoir autre chose à proposer. Si les philosophes de ce nouvel esprit scientifique réfutent la doctrine et la théorie, que suggèrent-ils "en échange"? Le  narrateur de Cyrano, Dyrcona, fidèlement à l'enseignement gassendiste préconise une mise à l'épreuve pratique de la démonstration. Quoi de mieux en effet pour vaincre un doute que d'aller voir par soi-même? Il n'est plus question d'édifier des théories à distance mais de se rendre compte concrètement, donc d'aller sur place. En proposant de substituer à "un esprit de système" favorisant l'institution de théories erronées, un esprit d'expérience et d'examen attentif, Dyrcona privilégie le rôle de l'observation. Mais nous ne méprenons pas, il ne s'agit pas de se contenter d'observer "passivement", en admettant une possible compatibilité entre ces deux termes, l'observation se doit d'être contrôlée par la raison, raison dont le pouvoir se trouve accru notamment chez Cyrano par l'usage des instruments.  Quel lien entre une science expérimentale et la littérature pourrons-nous nous demander? A ce titre Jacques Prévot, toujours dans le même ouvrage, fait une remarque judicieuse "Le monde est une machine. Que la machine permet d’explorer". Rappelons-nous Dyrcona et ses fameux engins, de la rosée du matin à la machine thermo dynamique... bien que ses inventions soient impossibles elles ne sont pas invraisemblables puisqu'il prend soin de les expliquer. Le lecteur se trouve donc projeté dans une véritable fiction scientifique et c'est ainsi que la littérature offre un plus grand champ de possibles à l'exploration, les inventions mirobolantes de Cyrano de Bergerac n'étant pas là pour le seul plaisir de l'imagination mais pour ouvrir sur de nouvelles hypothèses de travail. Chez Diderot l'entreprise est un peu différente, là où Dyrcona expérimentait  réellement, lui imagine en pensées ce qu'il pourrait faire "Faites par la pensée ce que nature fait quelquefois" et  tire de fait argument d'une expérimentation irréalisable "Si vous eussiez passé en un clin d'oeil de la jeunesse à la décrépitude [...], vous n'auriez plus été vous ni pour les autres ni pour vous".
    Nous venons donc de constater notamment chez Cyrano, une attention toute particulière portée à l'observation dans sa dynamique de privilégier l'expérience. La littérature se colore donc d'une, selon Jean Serroy, "méthodologie de la connaissance" qui passerait par l'examen attentif du monde qui nous entoure. Cette demande d'observer revient comme un leitmotiv chez nos trois philosophes. Dès les premières pages du Rêve de d'Alembert, Diderot demande sans cesse à son ami de regarder, de voir, d'"une façon de voir [...] qui est nouvelle". Pour lui seule l'observation dissipe les préjugés sur l'ordre de la nature, révèle les anomalies. Quant à Fontenelle, il entretient une véritable culture de la curiosité: la libido sciendi. Après avoir attisé la curiosité de la Marquise, il n'a "qu'à tirer le rideau et à [...] lui montrer le monde". Ce qui nous permet d'introduire une autre occurrence commune aux trois philosophes: celle du "Pourquoi non?". Toute la stratégie de Fontenelle visant à maintenir la curiosité de la Marquise en éveil mais la laissant perpétuellement inassouvie tient sur cette notion. Ce mode du toujours plus loin est néanmoins limité par une condition chez Diderot, il faut que les hypothèses "tirent toutes leurs forces des difficultés dont elles se débarrassent", ce que l'on peut lire comme une injonction à réfléchir hors des sentiers battus. Comme nous l'avons déjà remarqué, l'écriture philosophique prônant l'observation ne se contente pas de l'habituel schéma intellectuel de la vision de l'époque: voir n'est pas savoir, ce n'est pas parce que l'on voit la Terre plate qu'elle n'est pas ronde, ce n'est pas parce que nous y vivons qu'elle est au coeur du cosmos comme l'affirmait Aristote. Prolongeant l'idée de Gassendi étudiant le problème de la vision et les phénomènes d'illusion optique, on assiste au renversement d'une observation distincte de la raison en un véritable jeu intellectuel. L'on voit les choses ainsi de la Terre? Et imaginons ce que nous verrions si nous étions sur la Lune nous dit Cyrano "La Lune est une monde comme celui-ci à qui le nôtre sert de lune", substitution exclusivement possible par écrit à l'époque. De même lorsque Dyrcona, assistant à l'une des métamorphoses du peuple des régions éclairées du Soleil, s'adresse aux hommes " Mais écoutez, Peuple de la Terre, ce que je ne vous oblige pas de croire, puisqu'au Monde où vos miracles ne sont que des effets naturels, celui-ci a passé pour un miracle". Comme le remarque le démon de Socrate « Il y a du vulgaire, ici comme là, qui ne peut souffrir la pensée des choses où il n’est pas accoutumé », paraissent donc surprenantes, étonnantes les idées dont on n'a pas l'habitude. La Marquise de Fontenelle va même plus loin lorsqu'elle qualifie de "roman", connotant le fait qu'elle n'en croit rien, la description que le philosophe lui fait des "habitants" d'une planète qu'il n'avait pas encore identifiée comme étant la Terre. Ainsi le philosophe se joue du proche et du lointain en déplaçant le point de perspective: la Marquise comprend qu'en réalité il n’est question que d’insectes qu’elle côtoie depuis toujours. En mettant en scène son histoire dans un cadre inhabituel Fontenelle effectue un véritable renversement, afin d'inviter son public (la Marquise mais aussi les lecteurs) à aborder les choses avec un regard neuf. Comme Descartes avant lui il suggère ici de faire table rase sur tous les préjugés de pensées, mêlant l'infini à une infinie proximité "Nous ne sommes dans l'univers que comme une petite famille".

        ...faire table rase suggère aussi une prise de liberté à l'égard de l'autorité des Anciens et du monde chrétien. L'Humanisme du XVIème siècle amorça ce détachement, notamment vis-à-vis de la scolastique, l'entreprise reposant principalement sur un processus de laïcisation du Savoir. Le libertinage érudit du XVIIème siècle en est le prolongement direct. Le vrai savoir, donc la véritable aventure de l'Esprit, nous dit le Démon de Socrate, vient de la lecture ou de conversations qui consistent le plus souvent dans une mise à l'épreuve des lectures précédentes. Chez Cyrano de Bergerac et dès les premières pages le lecteur se trouve par exemple plongé dans une écriture parodique de la Genèse, abnégation manifeste et polémique du dogme chrétien. Ainsi, il existe le revers d'une littérature au service de la science: une littérature qui lorsqu'elle n'est pas actualisée et cloîtrée dans un système de croyances immuables freine l'expansion du Savoir. Alors que nos philosophes du XVIIème siècle cherchaient à inventer la modernité, en rupture avec la tradition, demeurèrent trop longtemps des hypothèses nouvelles passées sous silence car non conformes au système aristotélicien. Et de fait, un embrigadement littéraire dans la structure close du cosmos aristotélicien et ptoléméen n'était pas pour l'effusion d'un nouvel espace copernicien. En revanche ne voyons pas dans cette littérature tendant à être dépassée une dénégation des valeurs inhérentes à la prose même. A. Calame au sujet des Entretiens de Fontenelle écrit quelques mots fort à propos "S'ils ont perdu leur valeur de manuel d'astronomie, ils restent un chef d'oeuvre littéraire de premier plan"; une invitation à faire la part entre science et littérature, sans cependant aller jusqu'à se rallier à Huygens qui séparait strictement ces deux domaines . Retournons auprès de Cyrano de Bergerac, ce dernier n'a aucune prétention de véracité absolue, tant son discours savant est parfois noyé dans l'écriture. Le Savoir, plongé dans une structure fictionnelle se retrouve bien souvent fragilisé et le lecteur de lui-même définit les limites entre ce qu'il peut croire et ne pas croire.
    Cependant face à cette tradition dogmatique d'une littérature au champ de possibles restreint on retrouve son contraire, une littérature libérée par le choix d'un genre littéraire. Fontenelle et Diderot sont unis par celui de l'entretien, cette conversation suivie sur un sujet. Dans L'Histoire de la France Littéraire, Classicismes, le rôle de Fontenelle dans l'histoire du dialogue pédagogique et du dialogue en général est appuyé. S'adressant à une figure moyenne, un lecteur averti mais non point savant, Fontenelle sait susciter le désir de savoir, présentant la matière des connaissances sous un jour favorable, avec un air non pas docte mais plaisant et enjoué. Dans le Dossier précédant les Entretiens, on peut lire que pour Fontenelle "la nature des dialogues indique assez que la jouissance intellectuelle consiste aussi avant tout à être partagée". Le genre dialogué présente donc un avantage certain quant au lien entre littérature et science. En effet, une forme où il n'y aurait qu'une voix restreindrait ce champ de possibles souhaité alors que la présence d'une seconde voix ouvre l'opportunité du débat. Restons auprès du philosophe et de la Marquise lui donnant la réplique, de plus en plus bouleversée par ce qu'elle entend, au cinquième soir, cette dernière exprime son épouvante face à cet "univers si grand" où elle n'est "plus rien". Ce à quoi le philosophe répond que là où la Marquise, mais aussi Pascal, voient dans l'infinité de quoi humilier l'homme, lui y perçoit au contraire une source de réconfort à travers la possibilité de découvrir, de s'agrandir en termes de conquêtes scientifiques; "Et moi [...] cela me met à mon aise" va-t-il jusqu'à prononcer. Le discours tenu semble donc avoir principalement pour finalité de troubler les certitudes naïves que pouvait engendrer une certaine ignorance, plus que de démontrer la validité de tel ou tel système scientifique. Christophe Martin, dans sa Présentation des Entretiens, justifie cela par un certain goût de la palinodie chez le philosophe. Ainsi la confrontation déploie non seulement l'horizon du texte mais aussi la liberté du lecteur, qui ne se sent plus embrigadé dans la doxa classique mais plus libre de peser le pour et le contre, de penser l'infini comme une humiliation ou un réconfort selon son idée.  Cette extension de pensée est aussi palpable chez Cyrano où l'extrême plasticité du texte permet d’y joindre grâce à d’abondants inserts dialogués, un très important contenu philosophico scientifique.

    Nous nous sommes appliqués jusqu'à maintenant à étudier le rôle joué par la littérature à l'égard de la nouvelle science au cours de la Révolution scientifique, néanmoins il est utile de ne pas négliger l'aspect synallagmatique. En effet, si la littérature sert la science, la science lui rend la pareille, comme si là aussi l'on pouvait permuter les impacts et rôles de chacune. En se penchant sur Kepler et son Songe, Godwin et son Homme dans la lune, Cyrano de Bergerac et ses États et Empires, Fontenelle et ses Entretiens il est assez intuitif de penser la science comme authentique matière littéraire, d'où une science ayant un réel impact sur la littérature. Les voyages interplanétaires se posant comme avancée scientifique hypothétique n'ont pas leur réciprocité en réalité? Qu'importe, la littérature s'inscrit aussi comme témoignage de l'évolution scientifique: nombreux sont les ouvrages tenant compte des connaissances de leur temps et à ce titre L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert sous-titrée "Dictionnaire raisonné des sciences, des arts, et des métiers" n'est-elle pas un parfait exemple? La science donne donc matière à écrire et surtout matière à penser. S'il est question dans notre sujet de la Révolution scientifique au XVIIème et au XVIIIème siècle, il faut cependant observer qu'elle a aussi donné lieu à une véritable révolution épistémologique concomitante. Rappelons nous, à l'instar de notre réflexion sur le choix du débat comme extension des possibles, du sentiment de la Marquise face à une profusion et une pluralité infinie, ce même sentiment qu'avait eu Pascal " Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie". Ainsi nous pouvons entendre comme impact de la Révolution un véritable bouleversement sur l'idée que l'Homme se faisait de lui même et des Sciences, la littérature se posant comme lieu de recueil de ses angoisses et de ses questionnements philosophiques face à un monde échappant de plus en plus aux certitudes.


    La proposition de Jean Serroy invitait à penser la littérature au service de la science, qu'elle soit art de transmission du Savoir, terrain de formulation d'hypothèses, ou bien encore caution de nouvelles découvertes, aucun secteur de la culture n'étant épargné. Cependant il est envisageable de réfléchir plus amplement sur le rôle joué par la fiction dans la Révolution scientifique.  En effet selon qu'elle soit clairement localisée et contrôlée ou confondue avec le discours savant caractérisant les fictions lunaires par exemple, on sera invité à distinguer le texte purement scientifique du texte littéraire et de fait un savoir proche du dogme d'un savoir fragilisé voire déstabilisé.




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Commentaires
C
I would like to thank the author for this marvelous efforts .I appreciate your efforts in preparing this post. I really like your blog articles.<br /> college Thesis writing
A
Haha, trouvée !<br /> Et sur un sujet qui -étrangement- me rappelle quelque chose (étrangement).<br /> Bonnes vacances (re), et à très bientôt :)
E
Bonjour par ici !<br /> Je vais très souvent feuilleter vos rédactions et la j'ai voulu mettre un petit commentaire.<br /> Je juge que les billets sont bien écrits et instructifs, c'est un bonheur de vous lire.<br /> Continuez comme cela le plus longtemps possible !<br /> Une bonne année !
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