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8 novembre 2010

Fontenelle, 3ème soir

  fontenelle



Entretiens sur la pluralité des mondes _ Fontenelle _
3ème soir _ ORAL

    A. Calame « Si [les Entretiens] ont perdu leur valeur de manuel d’astronomie, ils restent un chef d’œuvre littéraire de premier plan ».

    I. Situation du texte

- L’extrait que je me propose d’étudier s’inscrit dans le cours concernant «Fontenelle et l’astronomie galante ». Je commencerai par une citation de Flourens qui prolonge bien cette idée « Fontenelle a le double mérite d’éclaircir ce qu’il peut y avoir d’obscur dans les travaux de ceux qu’il loue, et de généraliser ce qu’ils ont de technique […], c’est un homme d’esprit, qui connaît assez les sciences pour en parler agréablement et exactement, mais qui n’y a pas pénétré assez profondément pour risquer d’être abstrait et obscur ».

- Il faut savoir que la digression que nous allons étudier n’existait pas dans les premières éditions de 1686 et 1687 mais qu’elle a été rajoutée en 1742. Nous verrons par la suite en quoi elle s’inscrit dans la « pédagogie » du philosophe, et en quoi cela la différencie d’un simple « extrait », détaché d’un ensemble.

- Nous sommes donc le troisième soir, le philosophe se propose d’entretenir la Marquise sur les « Particularités du monde de la Lune, Que les autres planètes sont habitées aussi ».

- Précédemment le philosophe a « offert un assez grand champ à exercer l’imagination [de la marquise] », en lui annonçant que les planètes étaient vraisemblablement peuplées. La Marquise demande quelque chose de « plus déterminé *».

* Déterminisme: "Système d'après lequel les phénomènes de la nature sont fatalement produits par un enchaînement nécessaire d'antécédents et de conséquents, de causes et d'effets".



    II. Lecture du texte


    III. L’économie du texte


  Cet extrait a une certaine autonomie puisque c’est une « petite histoire » à lui seul, comme le philosophe le glose après notre étude, c‘est « l’histoire naturelle des abeilles ». A la première lecture on pourrait penser à une fable de La Fontaine. Rappelons que cette digression date de 1742 et que les premières Fables de La Fontaine remontent à 1668, on notera de plus l’intitulé d’une fable de son premier livre « Les frelons et les mouches à miel ».

    Il est de rigueur de s’interroger sur ce qu’est une fable. Dans une préface d’Yves Stalloni des Fables de La Fontaine pour les collégiens il est écrit: « Chaque fable se propose de raconter, à des fins édifiantes, une histoire dont le décor est essentiellement la nature et les acteurs des animaux, parfois des hommes. La fable se fait le plus souvent en deux temps: d’abord une narration qui illustre une situation de la vie sociale, puis une morale. » Pour ce qui est du « lieu de l’action », c’est La Fontaine lui-même qui peut nous répondre dans sa fable « Le bûcheron et Mercure »: « la scène est l’univers », cadre dans lequel Fontenelle s’inscrit volontiers. Nous retiendrons de La Fontaine pour cette digression  dans un premier temps la narration illustrant la vie sociale et en second temps un récit à des fins édifiantes (instruire et plaire: deux exigences prêtées à l‘art par l‘ère classique). Cependant notons que pour Fontenelle il est plus précisément question d’instruire que de moraliser.

Mouvements du texte

On distinguera deux mouvements:

    1) Ce qui pourrait correspondre à l’incipit de l’histoire (jusqu’à la fin de la page 117) où le philosophe présente les principaux actants sans cependant les nommer. Sous l’apparence d’une description ethnographique sont décrites leurs principales caractéristiques vantant essentiellement leurs vertus. Le narrateur philosophe, suggérant une intervention adversative et interrogative de la marquise poursuit son histoire en s’immisçant dans les coutumes de ses « personnages », comme dans le discours narratif il n‘hésite pas à conclure ce paragraphe par ce que l‘on a coutume d‘appeler « un rebondissement ». 

  2) Puis le récit prend pleinement sa tournure métaphorique lorsque le voile de l’identité du groupe conté est levé: ce qui est présenté tout au long comme une description ethnographique est finalement identifié comme description entomologique*.

Entomologique*: relative aux animaux articulés, spécialement aux insectes.

  La cohésion du texte est assurée par l’apparence de dialogue entretenu par le philosophe qui va jusqu’à devancer la marquise dans ses interventions. Les galantes protestations venant sans cesse orner et rompre le discours scientifique illustrent une philosophie qui ne doit pas ennuyer. 


  IV. Le projet de lecture

  Ce qui nous permet de dégager l’idée directrice du texte sous la problématique suivante:

-   Comment, par un processus d’anamorphose, sous l’apparence d’une histoire rappelant la fable, Fontenelle parvient-il à éduquer le regard de la Marquise à l’extrême diversité produite par la Nature et à la convertir à sa théorie des mondes habités?

    V. L’explication (linéaire)

    1) Une description ethnographique sous l’apparence d’une fable (étrangeté des mœurs).

  En débutant par « Il y a dans une planète, que je ne vous nommerai pas encore » Fontenelle forme une sorte de suspens, fidèle au schéma narratif qui se dessine. Alors que le philosophe venait de « se résoudre à ne rien cacher  de ce qu’il [savait] de particulier », il commence par un non dit. On peut imaginer ainsi qu’il va  faire suivre à la marquise un raisonnement déductif, une sorte de « parcours initiatique » à la manière d’une exploration scientifique. Il assure cependant à la marquise que cette énigme première sera résolue par l’adverbe « encore ». L’utilisation du déterminant indéfini « une » devant « planète » fait écho à la pluralité des planètes donc des mondes (ce qui nous renvoie au titre). On notera aussi l’abondance du présent de narration qui, rappelons-le, est employé dans les récits pour donner un relief particulier à un fait en le rendant plus présent à l'esprit du lecteur ou de l'auditeur.

- Après avoir défini un cadre spatial à son histoire apparaissent ses premiers personnages qui sont appelés très approximativement par le substantif « des habitants ». Il faut remarquer que dans le dictionnaire de la langue française, l’habitant est décrit comme un « être vivant occupant un espace », rien ne limite donc les habitants à être uniquement des hommes comme l’histoire peut le laisser suggérer. Ces habitants ont la particularité de présenter de nombreuses vertus « très vifs, très laborieux, très adroits » accentués par l’adverbe anaphorique « très ». De plus il ajoute qu’ « ils sont entre eux d'une intelligence parfaite, travaillant sans cesse de concert et avec zèle au bien de l'Etat ». Puisque nous connaissons « l’issue » de l’histoire nous pouvons dès maintenant remarquer que Fontenelle, un peu à la manière d’un biologiste sème déjà quelques mots comme « vifs, laborieux, zèle, travaillant sans cesse… » qui conduiront à son coup de théâtre final. 

- Sur un ton égal, qui porte à sourire, le philosophe relève cependant qu’ « ils ne vivent que de pillage, comme quelques- uns de nos Arabes, et c'est là leur unique vice. ». On peut s’interroger sur la signification du substantif « arabe ». Dans les dictionnaires du XVIIème siècle, et dans un style familier on trouve « dur, âpre au gain, usurier ». La valeur péjorative reflète l’image sociale des corsaires barbaresques qui rançonnaient les puissances chrétiennes d’où le fait que le terme « arabe » soit ici associé au « pillage » qu’exerçaient ces pirates. Cependant cette connotation négative est nuancée par l’adjectif possessif axiologique « notre ».

-  « et surtout leur chasteté est incomparable; il est vrai qu'ils n'y ont pas beaucoup de mérite, ils sont tous stériles, point de sexe chez eux». Le dictionnaire de Furetière, dans la définition de l’honnêteté des femmes place la chasteté en tête de liste, avant la modestie, la pudeur, la retenue. En attribuant ici cette « qualité » à tout un peuple « tous » Fontenelle lui fait perdre son caractère de vertu puisque ce n’est même pas un choix mais imposé par la stérilité. Le ton badin se trouve accentué par la tournure de la phrase « et surtout leur chasteté est incomparable », avec l’insistance à deux fois renouvelée par le « surtout » et « l’incomparable ».  Pour poursuivre sur les éléments de réponse glissés par Fontenelle on relèvera la question de la stérilité. On sait qu’en dehors de leurs reines les fourmis et les guêpes sont neutres mais aussi que les ouvrières de la ruche d’abeilles sont stériles hormis la reine.

- « Mais, interrompit la Marquise, n'avez-vous point soupçonné qu'on se moquait en vous faisant cette belle relation ? Comment la nation se perpétuerait-elle ? » La remarque incrédule de la marquise vient rompre avec le discours du philosophe qui revêtait les allures d’une fable, relevant de la fantaisie plus que de la description. Cette intervention donne une légèreté nouvelle à l’histoire qui se présente désormais dans la continuité des dialogues voulus par Fontenelle. En effet, dans le dossier précédant l’œuvre on peut lire que pour Fontenelle « la nature des dialogues indique assez que la jouissance intellectuelle consiste aussi et avant tout à être partagée ». La Marquise peut d’amblée être vue comme une métonymie du Monde mais aussi des lecteurs. De plus, elle représente, sinon une lectrice, une auditrice « idéale » conforme à l’intention du philosophe puisqu’elle semble réellement modelable. On notera que d’une problématique principalement centrée sur l’astronomie l’on se retrouve face à une problématique biologique avec cette question de la nation qui se perpétue.

-  « On ne s'est point moqué, repris-je d'un grand sang-froid, tout ce que je vous dis est certain, et la nation se perpétue ». Le fait que cela soit « certain » semble annoncé comme une donnée immuable à la manière des arguments d’autorité cités par Cyrano de Bergerac dans l’incipit. Le philosophe qui se montre pourtant très délicat dans son discours se fait soudain plus imposant, forçant ou modelant l’esprit de la Marquise à admettre quelque chose sans qu’elle puisse cependant, à première vue, en avoir la certitude.

- « Ils ont une reine, qui ne les mène point à la guerre, qui ne paraît guère se mêler des affaires de l'Etat et dont toute la royauté consiste en ce qu'elle est féconde[…] Elle a un grand palais, partagé en une infinité de chambres».  On assiste ici à un réel brouillage des registres, le vocabulaire politique que l’on avait déjà rencontré précédemment avec les substantifs d’ « État » et de « nation » se trouve amplifié, il est question de « guerre, affaires de l’Etat, royauté » et d’autre part le dessin d’une ruche prend forme de plus en plus clairement « reine, fécondité, grand palais, infinité de chambres… ».

- «Je vous entends, Madame, sans que vous parliez. Vous demandez où elle a pris des amants ou, pour parler plus honnêtement, des maris. » Fontenelle poursuit son discours galant, ou pour ne pas heurter la sensibilité de la marquise il se reprend en mettant en avant le caractère de l’honnête « pour parler plus honnêtement ». On voit ici l’attention portée aux mots, en accord avec la langue mondaine pratiquée par Fontenelle dans ses Entretiens.

- « Il y a des reines en Orient et en Afrique, qui ont publiquement des sérails d'hommes». Ce qui importe ici n’est pas de se demander quelles étaient ces reines mais plutôt ce que peut signifier ce « sérail d’hommes ». Lorsque l’on fait quelques recherches, ne serait-ce que sur Internet on ne trouve que très peu de références. Par définition le « sérail » est un lieu où réside des femmes. Ainsi par cette appellation Fontenelle procède à un genre de renversement d’un « lieu commun ». Les hommes se trouvent à la place des femmes dans ce sérail permuté. Peut-être que cela vous rappellera l’incipit de Cyrano « la Lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune » où l’on pouvait deviner l’image différente de quelqu’un qui serait sur la Lune.

- Dans la suite de notre premier mouvement le vocabulaire politique est de plus en plus contaminé par un plus proche de l’apiculture, l’appellation de « reine » vaut pour les souveraines humaines mais aussi dans le règne animal. En effet on a coutume de parler de la reine des fourmis, des abeilles… A ce propos nous noterons par exemple que quelques pages plus tôt Fontenelle écrit que les étoiles sont des « fourmillements d’astres » où l’on retrouve le même radical. La chute de « l’histoire » contée par le philosophe avec la dernière « péripétie », et de taille, des étrangers tués par les autochtones n’est pas sans rappeler la cruauté du monde animal. On sait par exemple que la mante religieuse et la veuve noire (une araignée) mangent leurs mâles après l’accouplement.


  2) Un microcosme: d’une description ethnographique à une description scientifique (entomologique).


- Quand la Marquise s’écrit « De bonne foi où avez-vous pris tout ce roman-là ? » il est de rigueur de s’arrêter sur le terme « roman ». Il ne fait pas de doute qu’il est ici synonyme de fiction, et la Marquise insiste sur cet aspect en opposant frontalement le « roman » au « sens commun » . Fontenelle met dans la bouche de la Marquise la stratégie défensive du recours à la littérature, le discours de la nouvelle science est crypté et les propos tenus apparaissent comme une simple fantaisie, un divertissement. Le « Quel est le poète qui vous l'a fourni ? » semble comme un écho à Jean de La Fontaine par exemple, ou alors aux Anciens dont il s’inspirait comme Esope ou Phèdre.

-« Je vous répète encore, lui répondis-je, que ce n'est point un roman. Tout cela se passe ici, sur notre terre, sous nos yeux. Vous voilà bien étonnée ! ». En posant à la suite trois questions il semble évident que, de l’histoire du philosophe, la Marquise n’en croit pas ses oreilles. En répondant que tout cela se passe sur la terre le philosophe lui demande non seulement d’en croire ses oreilles mais aussi ses yeux, ce qui est plutôt amusant et témoigne de l’esprit un peu taquin et badin de Fontenelle.

- « Oui, sous nos yeux, mes Arabes ne sont que des abeilles, puis qu'il faut vous le dire. ». Ainsi s’achève la petite histoire du philosophe, comme le narrateur qu’il s’est proposé d’être en cette fin de troisième soir. La question initiale des habitants non nommés du premier paragraphe est résolue: le philosophe vient de conter « l’histoire naturelle des abeilles ». 

Le coup de théâtre final n’est pas sans faire penser à la chute du sonnet ou alors à celle de l’épigramme*, cette petite pièce de vers du genre satirique se terminant par un trait piquant. Ce « mes Arabes ne sont que des abeilles »  permet une nouvelle lecture de l’histoire, que l‘on pourra nommer « rétro lecture », que ce soit pour le lecteur ou la Marquise. Cette dernière se trouve donc confrontée à ses préjugés, à des choses qu’elle ne voulait pas croire et devant l’efficacité du raisonnement du philosophe, elle ne peut qu’en venir à bout de ses idées premières. Comme il l’est noté dans L’Éloge de la myopie: Fontenelle Opticien de Julie Boche, s’il y a d’abord remise en cause de l’anthropocentrisme puisque l’histoire de Fontenelle ouvre la voie à l’existence d’autres êtres, elle le préserve aussi puisque c’est toujours ce que nous avons sous les yeux qui sert de jauge à ce que nous ne voyons pas. Ainsi le philosophe en quelques sortes n’a fait que ramener l’infini à la mesure humaine, comme si Fontenelle se  livrait à, je cite Aram Vartanian, une « humanisation du cosmos ». Il montre donc le macrocosme à travers le microcosme là où Pascal dans les Pensées allait dans le sens inverse de l’infiniment petit où il cherchait à « faire voir un abîme nouveau », « Car ne croyez pas que nous voyions tout ce qui habite la Terre » écrivait-il. Fontenelle et le monde centrifuge, Pascal et le monde centripète.

Pour en revenir à notre texte, comme les hommes, les abeilles semblent avoir une organisation politique véritable (idée adoptée par Réaumur mais qui sera contestée par Buffon). Au-delà du récit analogique des « hommes-abeilles », les « étrangers » étant en réalité des faux-bourdons on comprend que Fontenelle a créé là une sorte de microcosme anthropomorphique , le monde des abeilles pourrait très bien être une réduction d’une autre planète, puisque là aussi la Marquise a été étonnée du fonctionnement qu’on lui a décrit. Fontenelle ne cherche pas à persuader, il reste fidèle à la dynamique de son œuvre en admettant une possibilité que d’autres mondes soient habités, que ces autres mondes sont différents. Par un genre d’anamorphose*, ce mot de vocabulaire étant issu de l’optique, et désignant une « déformation d'images, de telle sorte que ou bien des images bizarres redeviennent normales ou des images normales deviennent bizarres quand elles sont vues à une certaine distance et réfléchies dans un miroir courbe », le philosophe se joue du proche et du lointain en déplaçant le point de perspective: alors que la Marquise croyait s’entendre raconter l’histoire d’extra-terrestres au sens étymologique du terme elle voit en réalité qu’il n’est question que d’insectes qu’elle côtoie depuis toujours. En mettant en scène son histoire dans un cadre inhabituel Fontenelle effectue une sorte de permutation des points de vue, un renversement, afin de regarder les choses avec un œil nouveau comme l’a fait le narrateur de Cyrano, Dyrcona lorsqu’il se trouvait sur la Lune. C’est cette belle formule de Leibniz de « se placer dans le soleil avec les yeux de l’esprit ». Si Fontenelle incite la Marquise à aller au-delà du monde visible ce n’est pas pour chercher la « réalité surnaturelle d’une vérité métaphysique mais la diversité admirable de la nature. ». Pourquoi, en effet, à cette image les autres mondes ne seraient-ils pas aussi habités après tout?





    VI. Conclusion


    En conclusion, « la fable des abeilles » , qui montre la vie d’un être vivant très différent de l’homme et pourtant proche de lui par analogie, permet d’imaginer des mondes étrangers au nôtre. Le philosophe suggère qu’il suffit de transposer sur d’autres planètes ce qu’il se passe sur la nôtre au niveau des insectes (un microcosme) pour envisager cette pluralité des mondes. On y retrouvera de nombreuses bizarreries en accord avec l’expression du « grand je ne sais quoi » de la Marquise et cela ira dans le sens d’une infinité de mondes possibles. Ainsi grâce au procédé littéraire d’une analogie filée prenant les allures d‘une fable, Fontenelle a su entretenir le doute et guider pas à pas la Marquise sur le chemin de la nouvelle science « des mondes infinis dans un monde infini ».



Ouverture: La démarche de "vulgarisation" de Fontenelle a eu un grand succès et l’on peut voir par exemple dans Le Rêve de d’Alembert un hommage que Diderot lui aurait rendu, où Julie de Lespinasse serait un avatar de la Marquise. De plus, on retrouve la thématique des abeilles, où l’essaim semble être le véritable leitmotiv du rêve.







« Il y a dans une planète, que je ne vous nommerai pas encore, des habitants très vifs, très laborieux, très adroits; ils ne vivent que de pillage, comme quelques- uns de nos Arabes, et c'est là leur unique vice. Du reste, ils sont entre eux d'une intelligence parfaite, travaillant sans cesse de concert et avec zèle au bien de l'Etat, et surtout leur chasteté est incomparable; il est vrai qu'ils n'y ont pas beaucoup de mérite, ils sont tous stériles, point de sexe chez eux. Mais, interrompit la Marquise, n'avez-vous point soupçonné qu'on se moquait en vous faisant cette belle relation ? Comment la nation se perpétuerait-elle ? On ne s'est point moqué, repris-je d'un grand sang-froid, tout ce que je vous dis est certain, et la nation se perpétue. Ils ont une reine, qui ne les mène point à la guerre, qui ne paraît guère se mêler des affaires de l'Etat, et dont toute la royauté consiste en ce qu'elle est féconde, mais d'une fécondité étonnante. Elle fait des milliers d'enfants, aussi ne fait-elle autre chose. Elle a un grand palais, partagé en une infinité de chambres, qui ont toutes un berceau préparé pour un petit prince, et elle va accoucher dans chacune de ces chambres l'une après l'autre, toujours accompagnée d'une grosse cour, qui lui applaudit sur ce noble privilège, dont elle jouit à l'exclusion de tout son peuple.

Je vous entends, Madame, sans que vous parliez. Vous demandez où elle a pris des amants ou, pour parler plus honnêtement, des maris. Il y a des reines en Orient et en Afrique, qui ont publiquement des sérails d'hommes, celle-ci apparemment en a un, mais elle en fait grand mystère, et si c'est marquer plus de pudeur, c'est aussi agir avec moins de dignité. Parmi ces Arabes qui sont toujours en action, soit chez eux, soit en dehors, on reconnaît quelques étrangers en fort petit nombre, qui ressemblent beaucoup pour la figure aux naturels du pays, mais qui d'ailleurs sont fort paresseux, qui ne sortent point, qui ne font rien, et qui, selon toutes les apparences, ne seraient pas soufferts chez un peuple extrêmement actif, s'ils n'étaient destinés aux plaisirs de la reine, et à l'important ministère de la propagation. En effet, si malgré leur petit nombre ils sont les pères des dix mille enfants, plus ou moins, que la reine met au monde, ils méritent bien d'être quittes de tout autre emploi, et ce qui persuade bien que ç'a été leur unique fonction, c'est qu'aussitôt qu'elle est entièrement remplie, aussitôt que la reine a fait ses dix mille couches, les Arabes vous tuent, sans miséricorde, ces malheureux étrangers devenus inutiles à l'Etat.

Est-ce tout ? dit la Marquise. Dieu soit loué. Rentrons un peu dans le sens commun, si nous pouvons. De bonne foi où avez-vous pris tout ce roman-là ? Quel est le poète qui vous l'a fourni ? Je vous répète encore, lui répondis-je, que ce n'est point un roman. Tout cela se passe ici, sur notre terre, sous nos yeux. Vous voilà bien étonnée ! Oui, sous nos yeux, mes Arabes ne sont que des abeilles, puis qu'il faut vous le dire. »


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